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Les singes musiciens

Alexandre Gabriel DECAMPS (Paris, 1803 - Fontainebleau, 1860)
Datée 1836
Huile sur toile
H.64 cm ; L.85 cm
Inv. B. 63
Legs Pierre Sauvage, 1876.
Compiègne
Tableau Les singes musiciens
© C. Schryve, Musée Antoine Vivenel, Compiègne

Decamps, issu d'un milieu bourgeois, a passé une partie de son enfance en Picardie; il ne revint à Paris qu'en 1816. Adolescent, il entre dans l'atelier d'Etienne Bouhot puis dans celui du célèbre Abel de Pujol, l'un des champions de l' académisme. Encore jeune, il ne profite qu'imparfaitement des leçons de ses maîtres mais noue des amitiés fort solides avec quelques-uns de ses condisciples tel Jadin, futur peintre animalier ou Roqueplan. Très vite, il se taille une certaine réputation tant avec des lithographies satiriques qu'avec ses vues d'Orient. Il est d'ailleurs l'un des premiers peintres à faire le fameux voyage d'Orient. En 1831, il est remarqué au Salon pour une Patrouille turque aujourd'hui à la Wallace Collection de Londres. Dès lors, il est considéré comme le chef de file d'un genre nouveau : l'orientalisme qui puise en Afrique du Nord et au Moyen Orient les thèmes de ses peintures et son goût pour le rendu parfois violent de la lumière. Decamps conserve sa vie entière une touche énergique qui ne s'embarrasse pas de détails finis, une maîtrise des contrastes accentués de lumière et d'ombres, négligeant le rendu d'une beauté idéale pour celui de scènes simples et souvent naïves.
Il est reconnu également comme un artiste essentiel du courant romantique, il figure parmi les six artistes qui avec Delacroix, Ingres, Heim, Vernet et Meissonnier, sont honorés d'une médaille d'or à l'Exposition universelle de 1855. A la fin de sa vie, il se retire à Barbizon et y meurt en 1860.

Ce tableau représente deux singes vêtus à la mode, jouant du violon dans un Salon lors de ce qu'il semble être une leçon de musique. Le professeur bat énergiquement la mesure de son pied chaussé d'un soulier à boucle; l'élève qui le reçoit chez lui en robe de chambre, visiblement peu inspiré, reste perplexe devant sa partition… Tous les détails : parapluie vert du premier plan, chapeau, potiche et bahut, tenture et papier peint dénoncent les habitudes et les goûts d'une bourgeoisie oisive entichée de musique. Il transparaît dans ce type de représentation apparemment comique, une volonté morale de dénoncer les travers de la bourgeoisie, voire les travers de l'espèce humaine, sa faiblesse selon le vieil adage

Ars simia naturae : l'art singe la nature. On ne peut mieux dire s'agissant de musiciens, ici brocardés.
On retrouve des singes dans l'œuvre de Decamps dès 1823. Ils se multiplient dans les années 1830 et ce tableau est certainement l'une de ses principales « singeries ». Nul doute que ce choix ne lui soit dicté par l'exemple des grands maîtres flamands copiés au Louvre, notamment Téniers. Le thème des animaux musiciens n'est en fait pas nouveau. Dès le XVIIe siècle, de telles peintures étaient fort appréciées : Philippe IV d'Espagne les aimait tant qu'il en fit rassembler une galerie entière au Prado. Les singes peintres ou sculpteurs sont de supposées moqueries envers les artistes qui ne savent qu'imiter les autres ou l'Antique. Au XVIIIe siècle, les singeries se multiplient, dans les œuvres de Watteau, de Chardin en passant par les décors de boiseries comme dans le cabinet La Grande Singerie (1757) par Jean-Baptiste Huet au château de Chantilly. Ces singes se retrouvent partout : dans les sujets de porcelaine des plus grandes manufactures, sur les assiettes, les clavecins, les meubles, les vases, les tapisseries, les papiers peints, les carreaux de faïence. Decamps n'est pas le seul artiste à remettre à la mode le goût des singeries et le XIXe siècle est le siècle de l'« animalomanie » comme en témoignent les dessins de Granville : « les singes députés se disputent à l'assemblée », « le singe parisien fréquentant sa grisette », « le singe peintre officie le pinceau à la queue »… Il publie des Singeries morales, politiques, etc en 1832. La satire sociale demeure l'une des sources d'inspiration du romantisme avec le goût du bizarre, de la grimace, voire de la laideur et du grotesque. Le courant romantique se retrouve dans le choix et le traitement d'un sujet parodique à si grande échelle, ainsi que dans la palette et les jeux de lumière affectionnés par l'artiste dans cette véritable comédie de mœurs que nous jouent ces singes musiciens.

Christine Amiard
Chargée du service des publics

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